Article Agir pour le vivant

Article Agir pour le vivant: «l’Albatros hurleur» Une Journée de la Terre… azotée?

Paru dans "Libération" le 21 avril 2022 avec l'avis de Benjamin Loubet en citation

Chaque semaine sur notre site, «l’Albatros hurleur», une chronique écologique de David Grémillet, directeur de recherche au Centre d’études biologiques de Chizé (CNRS-La Rochelle Université). Aujourd’hui, à l’occasion de la Journée mondiale de la Terre, la consommation excessive d’engrais de synthèse.

Une matinée de printemps dans les Deux-Sèvres, sous la bruine. Le tracteur déploie une rampe d’épandage de trente mètres d’envergure et pulvérise un produit non identifié sur le champ de «ray-grass», en bordure des jardins et de mon potager. Comme à chaque intervention je vais discuter avec l’agriculteur, qui se veut rassurant : «C’est juste de l’azote, pour que ça pousse bien !» Le ray-grass, une herbacée d’un vert chatoyant, sera fauché quelques semaines plus tard et transformé en ensilage, pour nourrir le bétail. «Avec la guerre en Ukraine et la sécheresse qui s’annonce, le spectre d’une pénurie de fourrage pèse sur les campagnes», me confie un voisin.

Alors que l’urée d’origine naturelle demeure le principal fertilisant à l’échelle mondiale, la France consomme 2,3 millions de tonnes d’engrais de synthèse chaque année. Il faut l’équivalent en gaz d’une tonne de pétrole pour produire une tonne d’engrais et le nitrate d’ammonium est un puissant explosif qui a ravagé le port de Beyrouth et l’usine AZF de Toulouse. Cet engrais azoté est principalement importé, renforçant la dépendance de la France vis-à-vis de productions distantes de milliers de kilomètres, notamment en Russie. Une fois épandues, ces molécules favorisent la croissance des cultures, mais aussi la production de gaz à effet de serre. Les nitrates dégradent également la qualité de l’eau de régions entières.

L’agriculture française semble accro à l’azote et les experts s’écharpent sur les modalités d’une nécessaire transition agroécologique. Mais quelle est la position de l’Europe de l’ouest sur l’échiquier mondial du productivisme agricole ? Une étude récente (1) menée par huit institutions de recherche chinoises et l’université de Stanford aux Etats-Unis, permet de prendre de la hauteur. Les chercheurs ont évalué les émissions d’ammoniac des activités agricoles mondiales entre 1980 et 2018. Leurs calculs indiquent que celles liées aux cultures ont plus que doublé, alors que celles issues des élevages augmentaient de moitié. Pendant cette même période, la production végétale mondiale a doublé, mais l’utilisation des engrais azotés de synthèse a triplé. La Chine, l’Inde et les USA sont désormais responsables de la moitié des émissions azotées mondiales, l’Europe de l’ouest arrivant en quatrième position. Dans cette région du monde, les scientifiques ont néanmoins observé une réduction significative des dépôts d’azote entre 1990 et 2010, suivie d’une augmentation dans les années récentes.

Nos collègues chinois et américains, auteurs de l’étude, dénoncent courageusement les dérives agricoles de leurs pays respectifs. En comparaison, l’Union européenne fait presque figure de bon élève, avec une politique contraignant fortement les émissions d’oxyde d’azote associées aux activités industrielles. Seul bémol manifeste en France, les élevages intensifs bretons, dont les émissions rivalisent avec celles de certaines provinces chinoises. Pour Benjamin Loubet, directeur de recherche à l’Inrae «l’utilisation des engrais minéraux demeure forte, et les émissions françaises issues de l’agriculture diminuent beaucoup plus lentement que celles liées aux activités industrielles. Les techniques pour réduire les émanations issues de l’élevage et recycler l’azote demeurent sous-employées.»

(1) Liu, L., Xu, W., Lu, X., Zhong, B., Guo, Y., Lu, X., … & Vitousek, P. (2022). Exploring global changes in agricultural ammonia emissions and their contribution to nitrogen deposition since 1980. Proceedings of the National Academy of Sciences, 119 (14), e2121998119.
David Grémillet est directeur de recherche au Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CNRS-La Rochelle Université) Chaire d’Excellence Nouvelle-Aquitaine.

Lire l'article : 

https://www.liberation.fr/plus/une-journee-de-la-terre-azotee-20220421_5UJDZWFHV5FX7DYELDIAQK2G4Y/ 

Date de modification : 18 octobre 2023 | Date de création : 25 avril 2022 | Rédaction : SF